Le terrorisme des colons israéliens n’est pas nouveau. Il est à la base du projet sioniste.

Les informations faisant état de pogroms et d’attaques de colons israéliens contre des Palestiniens en Cisjordanie se sont multipliées ces derniers mois, amenant le porte-parole de l’armée d’occupation israélienne à qualifier le phénomène de « terrorisme nationaliste ».

 

Un homme se tient à l'intérieur d'un restaurant incendié par des colons israéliens à Turmus Ayya, près de la ville de Ramallah en Cisjordanie occupée, le 21 juin 2023

Un homme se tient à l’intérieur d’un restaurant incendié par des colons israéliens à Turmus Ayya, près de la ville de Ramallah en Cisjordanie occupée, le 21 juin 2023 (Photo : AFP)

 

Joseph Massad, 15 août 2023.

La semaine dernière, le chef de la police secrète israélienne, le Shin Bet, a en outre averti le Premier ministre Benjamin Netanyahu que le « terrorisme juif » incitait les Palestiniens à riposter contre leurs colonisateurs. Même le gouvernement américain, dont le soutien à la colonisation juive est légendaire, est allé jusqu’à qualifier les attaques de colons de « terrorisme ».

Alors que l’ultra-sioniste New York Times a simplement mentionné les prétendues « attaques de vengeance » ou « violences » des colons contre le peuple palestinien pour avoir osé résister à ses colonisateurs, une douzaine d’organisations juives basées aux États-Unis ont exprimé leur horreur et condamné les pogroms anti-palestiniens des colons.

Il y a quelques jours, alors que le gouvernement israélien prenait des mesures pour soutenir l’Autorité palestinienne (AP) afin qu’elle puisse poursuivre sa campagne répressive pour châtier la résistance palestinienne à la colonisation israélienne, l’AP elle-même était occupée à vendre aux enchères en Cisjordanie des plaques d’immatriculation de classe affaires palestiniennes à des prix allant jusqu’à 250.000 $ (230.000€).

Pendant ce temps, et apparemment cela a peu préoccupé l’AP, un colon israélien a renversé un enfant palestinien de quatre ans avec sa voiture à Tel Rumeida, à al-Khalil (Hébron), et s’est enfui. Deux jours plus tard, un autre colon a renversé un autre palestinien de quatre ans à Kisan, un village à l’est de Bethléem.

Cela fait partie des attentats terroristes, qui durent depuis plusieurs décennies, perpétrés par des colons israéliens en Cisjordanie et à Gaza, que le journal libéral israélien Haaretz a décrits comme rien de moins que de la violence raciste « à la KKK ».

Mais les crimes perpétrés par les colons israéliens sont-ils particulièrement plus cruels et plus violents aujourd’hui qu’ils ne l’ont été depuis 1967, sans parler de ceux perpétrés avant la création d’Israël ?

 

Cibler les enfants

S’il est vrai que le terrorisme des colons israéliens contre les Palestiniens, en particulier le ciblage des enfants palestiniens, a augmenté à pas de géant en 2023, ce n’est pas un phénomène nouveau.

En fait, cette forme spécifique de violence remonte aux premiers jours de la colonisation post-1967, en particulier à partir de la seconde moitié des années 1970. Par exemple, l’un des principaux groupes de colons terroristes, qui a attaqué et tué des Palestiniens au milieu des années 1970, s’appelait TnT, ou “Terror Against Terror” en hébreu. Il était associé au rabbin américain raciste Meir Kahane et était principalement constitué de colons juifs américains.

Un autre groupe de colons fanatiques était Gush Emunim, ou « Bloc des fidèles », qui attaquait les Palestiniens à la même période. Gush Emunim s’est spécialisé dans les attentats à la voiture piégée et les assassinats. Parmi les autres groupes terroristes de colons figurent Egrof Magen et The Revolt – ce dernier était spécialisé dans l’attaque des chrétiens palestiniens et de leurs églises. Et les soi-disant attaques « à prix fort » contre les Palestiniens, qui visent à « faire payer un prix » aux Palestiniens pour avoir résisté à la colonisation de leurs terres, sont devenues plus prédominantes dans le nouveau millénaire.

Les enfants palestiniens n’ont jamais été épargnés par la violence du terrorisme israélien.

En effet, en 1979, des colons israéliens de la colonie de Kiryat Arba sont venus aider l’armée israélienne à réprimer les Palestiniens et, ce faisant, ont tué deux jeunes palestiniens.

Les attaques en voiture avec délit de fuite contre les Palestiniens ciblant en particulier les enfants ont également été une caractéristique importante du terrorisme des colons israéliens. En septembre 2011, un colon a renversé un jeune palestinien de huit ans à al-Khalil (Hébron).

Pour prendre une période aléatoire en 2014 seulement, comme le révèle un document des Nations Unies, nous constatons que

« le 25 septembre, une fillette palestinienne de 10 ans a été renversée par un colon israélien à Silwan ; le 17 août, un Palestinien a été tué après avoir été renversé par la voiture d’un colon israélien à Jérusalem-Est occupée ; le 14 août, un Palestinien a été renversé par la voiture d’un colon israélien et le 7 août, un colon a écrasé une jeune palestinienne de 8 ans au sud de la Cisjordanie ».

Selon l’UNICEF, les colons ont blessé 18 enfants (13 garçons, cinq filles) en 2012, tandis que l’armée israélienne a blessé 21 enfants lors d’incidents liés aux colons.

En 2015, un bébé palestinien de 18 mois a été brûlé vif par des colons de Cisjordanie lorsqu’ils ont incendié la maison de sa famille à Douma. En 2016, un colon israélien a écrasé une fillette palestinienne de six ans dans le village d’al-Khader. Un autre colon de 65 ans a délibérément renversé une jeune Palestinienne en juin 2017 et l’a tuée, tandis qu’un autre colon a renversé une autre fille de huit ans en août, la tuant également.

Un colon a tué un garçon de sept ans en 2019 lorsqu’il l’a renversé à al-Khalil (Hébron). En 2020, un colon israélien a percuté avec sa voiture un enfant palestinien près de Salfit et s’est enfui.

En 2021, un garçon palestinien de trois ans et son frère de six ans ont été grièvement blessés lorsque des colons ont attaqué la voiture de leur famille près de Ramallah. En 2022, un colon a renversé un enfant palestinien de neuf ans et s’est enfui. En janvier 2023, un colon a renversé une fillette palestinienne de sept ans près de Qalqilya.

Sans parler du déracinement de milliers d’arbres sur les terres palestiniennes – une spécialité à la fois des colons israéliens et de l’armée israélienne, en particulier depuis 1967.

 

« Pionniers terroristes »

Alors que certaines des attaques les plus récentes ont reçu leur lot de condamnations dans certains milieux libéraux de la presse occidentale et israélienne, il semble y avoir une certaine injustice et parti-pris sioniste libéral et pro-israélien à juger plus sévèrement le terrorisme de ces colons contemporains, alors qu’en fait, leurs prédécesseurs sionistes, dans les années 1930 et 1940, ont commis des crimes bien plus horribles qu’eux. Pourtant, les sionistes libéraux continuent de les célébrer.

En effet, même les attaques en voiture avec délit de fuite typiques des colons contre les enfants palestiniens ne sont rien de plus que des tactiques imitatrices que les colons actuels ont apprises des pionniers terroristes sionistes novateurs.

Au printemps 1935, des rapports officiels britanniques sur la cruauté des « chauffeurs juifs traversant des villages arabes » ont commencé à faire surface. Un responsable britannique a rapporté le récit d’un Britannique qui avait vu un

« chauffeur juif tuer un enfant arabe et après avoir poussé le corps sur le bas côté, continuer sa route avant que quiconque ne puisse l’arrêter ».

Il y eut « plusieurs récits de tels incidents ».

Le déracinement des arbres plantés par les Palestiniens est également l’une des plus anciennes traditions des colons sionistes en Palestine. Quand, en 1908, les colons ont découvert qu’une forêt qu’ils voulaient dédier à la mémoire du fondateur du sionisme, Theodor Herzl, avait été plantée par des Palestiniens, ils ont déraciné tous les jeunes arbres et les ont replantés, pour que l’on dise que les Juifs avaient planté les arbres.

Lorsque les colons sionistes ont commencé à attaquer les civils palestiniens dans les années 1930 et 1940, les enfants palestiniens ont fait partie des victimes. L’explosion de cafés palestiniens à la grenade (comme celle qui s’est produite à Jérusalem le 17 mars 1937) et le placement de bombes à retardement sur des marchés bondés (utilisées pour la première fois contre des Palestiniens à Haïfa le 6 juillet 1938) sont quelques exemples de ces crimes notoires.

Bien que celles-ci puissent ressembler à certaines des attaques des colons israéliens contemporains, ces derniers n’ont jamais commis de massacres à l’échelle des générations précédentes de colons. La Haganah, une milice de colons sionistes qui servait de bras paramilitaire sioniste pré-israélien, par exemple, a fait exploser le navire Patria amarré à Haïfa en novembre 1940, tuant 260 réfugiés juifs et un certain nombre de policiers britanniques.

Dans les années 1940, les colons ont assassiné des représentants du gouvernement britannique, pris des citoyens britanniques en otage, fait sauter des bureaux gouvernementaux et des hôtels, tuant des employés et des civils, fait sauter l’ambassade britannique à Rome en 1946, flagellé et tué des soldats britanniques capturés et envoyé des lettres et des colis piégés à des hommes politiques britanniques à Londres, entre autres.

Menachem Begin, un chef des terroristes révisionnistes de l’Irgoun qui deviendra plus tard le Premier ministre d’Israël, était le cerveau derrière un certain nombre de ces attaques. Après le massacre par son groupe de plus d’une centaine de Palestiniens dans le village de Deir Yassin en avril 1948, son nom était devenu synonyme de terrorisme.

Albert Einstein et Hannah Arendt, entre autres, ont décrit le groupe de Begin comme non seulement

« une organisation terroriste de droite et fanatique »,

mais

« étroitement apparentée aux (…) partis nazis et fascistes ».

Pourtant, la milice officielle des colons, la Haganah, a commis des massacres bien pires au cours de la période, qui ont semblé mériter peu de condamnations, à l’époque ou maintenant, de la part des sionistes libéraux.

En décembre 1947, l’une des premières attaques de la Haganah – qui caractérisera celles de cette époque – visa le village palestinien de Khisas en Galilée, tuant quatre civils et quatre enfants palestiniens. Cela s’est avéré être un petit nombre par rapport aux meurtres de masse qui attendaient le peuple palestinien.

Dans le village d’Al-Dawayimah, par exemple, en octobre 1948, la Haganah a massacré plus de 100 Palestiniens. La guerre terroriste meurtrière contre les Palestiniens en 1948 comprenait également le viol et le meurtre de dizaines de Palestiniennes.

 

Cruauté plus légère

Rien de ce que les colons israéliens contemporains ont commis depuis qu’ils ont déclaré leur guerre au peuple palestinien il y a cinq décennies ne se rapproche de ces chiffres, sans parler du niveau de barbarie que les colons sionistes ont atteint dans les années 1930 et 1940.

La seule exception est le massacre de la mosquée al-Ibrahimi en 1994 commis par Benny (alias « Baruch ») Goldstein, un colon israélien né aux États-Unis qui a tué 29 musulmans palestiniens à l’intérieur de la mosquée. Mais son massacre fait pâle figure en comparaison des nombreuses campagnes meurtrières anti-palestiniennes lancées par l’armée israélienne après 1948 – depuis les massacres à Qibya, Gaza, Khan Yunis et Kafr Qasim du début au milieu des années 1950.

Il ne s’agit pas de minimiser les horreurs actuelles infligées aux Palestiniens par les colons israéliens en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, mais plutôt de mettre en évidence l’histoire du terrorisme sioniste contre le peuple palestinien depuis le début du projet sioniste.

En effet, les colons-terroristes israéliens d’aujourd’hui sont une version plus légère de leurs prédécesseurs, même s’ils perpétuent la même tradition coloniale pour laquelle ils sont injustement jugés par les défenseurs du terrorisme sioniste passé, y compris par les grands généraux israéliens.

Les colons de la Palestine d’avant 1967 sont connus en hébreu sous le terme “mityashvim”, littéralement « colons », tandis que les colons d’après 1967 s’appellent eux-mêmes “mitnachlim”, ou héritiers des pères qui leur avaient légué la terre de Palestine comme héritage, et auquel ils se réfèrent comme “nachalat avot”.

Cependant, tout comme les sionistes libéraux veulent établir une distinction majeure entre les deux groupes de colons, pour le peuple palestinien, la cruauté coloniale des deux groupes et leur terrorisme sont indifférenciables, sauf peut-être dans la mesure où les colons israéliens contemporains -l’opinion populaire des sionistes libéraux mise à part-, semblent beaucoup moins cruelles, du moins jusqu’à présent.

Ce que nous voyons aujourd’hui n’est finalement rien de plus qu’une version plus légère de la façon dont les colons sionistes ont volé la patrie des Palestiniens. Les sionistes et les libéraux pro-israéliens d’Occident, qui trouvent les colons terroristes actuels dégoûtants, devraient vérifier l’histoire remplie d’atrocités du sionisme avant de porter leur jugement moral injuste.

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Joseph Massad est professeur de politique arabe moderne et d’histoire intellectuelle à l’université Columbia de New York. Il est l’auteur de nombreux livres et articles universitaires et journalistiques. Parmi ses livres figurent Colonial Effects : The Making of National Identity in Jordan, Desiring Arabs, The Persistence of the Palestinian Question : Essais sur le sionisme et les Palestiniens, et plus récemment Islam in Liberalism. Citons, comme traduction en français, le livre La Persistance de la question palestinienne, La Fabrique, 2009.

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Publié le 15 août 2023 sur Middle East Eye
Traduction : MR/ ISM France

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