Souvenons-nous de Refaat Alareer

L’assassinat par Israël du Dr Refaat Alareer le 6 décembre a choqué toutes les personnes soucieuses de justice dans le monde entier. Un mois après ce crime horrible, les amis de Refaat partageaient leurs souvenirs d’un professeur et écrivain remarquable. Ils rappelaient à quel point l’engagement de Refaat envers la vérité touchait tous ceux qui l’entouraient. Ces hommages ont été réunis par Tamer Ajrami.

 

Des hommages ont été rendus à Refaat Alareer au cours de nombreux événements de solidarité avec la Palestine. (Photo : Maureen Clare Murphy)

Des hommages ont été rendus à Refaat au cours de nombreux événements de solidarité avec la Palestine. (Photo : Maureen Clare Murphy)

 

Pam Bailey

Étudier l’anglais est une priorité pour des nombreux jeunes de Gaza, puisque certains des emplois les mieux rétribués sont proposés par les ONG (organisations non gouvernementales) internationales. Mais j’ai entendu nombre de doléances à propos des enseignants du fait que, souvent, leur enseignement reste strictement livresque.

Le seul professeur dont je n’ai entendu que des louages unanimes était Refaat Alareer. C’était un critique sévère, cela ne fait aucun doute.

Mais c’était parce qu’il était très engagé envers ses étudiants et qu’il était on ne peut plus passionné et par la langue et par sa littérature. C’est la raison pour laquelle, lorsque j’ai cofondé We Are Not Numbers (WANN), je savais que nous devions le recruter afin de former nos écrivains en devenir.

Et il est devenu mon mentor aussi, dans ce processus. Il fut un temps où je fus moi-même l’objet d’une violente attaque en ligne, alors que lui venait précisément d’en subir une parce qu’il était si honnête dans ses points de vue. C’est lui qui fut mon conseiller et mon confident dans tous ces moments pénibles.

Tu me manques, Refaat.

Pam Bailey est cofondatrice de We Are Not Numbers (WANN).

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Norma Hashim

Refaat Alareer travaillait à son doctorat en Malaisie quand je l’ai rencontré en 2013. J’organisais le lancement du livre Gaza Writes Back (Gaza riposte par écrit) [qu’il avait édité] à Kuala Lumpur et il était très satisfait de la tournure des choses, sur ce plan.

Le livre innovait en ce sens qu’il présentait au monde les voix de jeunes Palestiniens vivant sous occupation. Refaat m’avait dit qu’il avait appelé cela « de la résistance par le biais de la fiction ».

Je me rappelle qu’il avait terminé son doctorat juste à temps pour se hâter de rentrer chez lui avait l’Eid, en 2017. Nous étions restés régulièrement en contact et, au cours de 2022, je l’avais invité à devenir universitaire non résident dans le Centre d’Études palestiniennes que je venais de fonder. Il s’était dit honoré et il nous avait rejoints en ligne pour la première rencontre.

Refaat était gentil, doux et auréolé de dignité. Il a laissé un grand héritage d’émancipation des jeunes Palestiniens afin qu’ils utilisent l’écriture comme forme de résistance.

Norma Hashim est la fondatrice du Centre Hashim d’Études palestiniennes à l’Université de Malaisie.

 

Ra Page

En tant qu’éditeur, j’ai rencontré de nombreux écrivains au cours de ma vie mais Refaat Alareer fut peut-être celui qui pensait et voyait le plus perspicacement de tous. Il avait en lui une honnêteté, une générosité, une gentillesse simple que l’on ne voit pas souvent.

Quand je suis arrivé à Gaza en 2022, il a été le premier visage amical que j’ai rencontré et qui n’était pas un parent de ma femme ou un ami de la famille. Il m’avait attiré en dehors de chez ma belle-mère pour m’emmener vers sa petite voiture marrante, avait ouvert la portière et m’avait dit : « Entrez et allons-y. »

Il m’avait montré la ville de Gaza, son cœur, sa chaleur, son courage intellectuel tenace. Il m’avait emmené à l’université, dans les cafés, les snacks à falafels, les restaurants, les librairies.

Il m’avait montré la richesse de la ville, sa sincérité.

Il m’avait montré à quel point la ville était courageuse, ses habitants amusants, sans consommer de shit. Par-dessus tout, il était enjoué, et sans devoir s’efforcer de l’être.

Il jouait à Pun Intended [un jeu de mots électronique], traduisait des expressions humoristiques qui rimaient, parlait de ses toutes dernières émissions favorites – Ted Lasso à l’époque. Ses collègues universitaires et ses étudiants se pressaient autour de lui. Il était adoré.

Il avait clairement modifié leur existence à tous. Je ne puis imaginer à quel point ils doivent être catastrophés en ce moment même.

Mais ils ont la chance d’avoir été ses amis et cela les a confortés. La clarté de vision de Refaat en tant que rempart contre le double langage de l’Occident, un monde où l’on permet et facilite un génocide en temps réel au moment même où l’on est persuadé d’éviter des pièges moraux.

Il nous a montré qu’en affichant notre absurde mascarade de moralité, nous étions véritablement immoraux.

Et comment sabrait-il à travers tout cela ? Avec le plus invraisemblable des outils.

Avec un amour de la poésie et du pouvoir des mots, en appréciant John Donne et William Shakespeare, avec une capacité de rime, de scansion, de rythme, de métaphore. Nous avons besoin de Refaat plus que jamais.

Et, bien qu’il ne soit plus avec nous, son exemple l’est encore. C’est tout ce qui nous reste pour continuer, pour aller de l’avant.

Puisse son exemple me guider, vous guider, nous guider tous autant que nous sommes.

Ra Page est le fondateur de Comma Press.

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Susan Abulhawa

Mon premier contact avec Refaat, d’après ce que j’ai retenu des courriels, remonte au début de 2011. Il faisait reposer une partie de sa thèse de maîtrise sur un chapitre de mon premier roman, Les matins de Jénine, intitulé Quand ils sont partis.

Il voulait traiter ce chapitre particulier comme une nouvelle autonome, à part entière. Après quelques tergiversations, il avait décidé de l’utiliser tout simplement tel quel, comme un élément d’un ensemble plus grand, comme un chapitre isolé d’une histoire bien plus vaste.

Je ne savais pas qui était Refaat, à l’époque, ni ce qu’il allait signifier pour moi au fil des années, ni bien sûr ce qu’il allait signifier pour notre nation.

À l’époque, il était étudiant et s’adressait à moi pour des conseils et une collaboration. Nous sommes restés en contact au fil des années, particulièrement quand il est devenu professeur.

Il m’invitait à participer à ses cours, dans lesquels il enseignait mon œuvre à ses étudiants. Nous parlions beaucoup de littérature – de son pouvoir transformateur.

De ses plans et de ses rêves pour notre société.

Nous collaborions à des projets et à des ateliers en compagnie de We Are Not Numbers. Quand nous avons eu le premier Palestine Writes Literature Festival (Festival de littérature La Palestine écrit), il fut l’une des premières personnes que j’ai voulu voir figurer sur la liste des conférenciers ainsi que pour le deuxième festival de La Palestine écrit qui s’est tenu en septembre.

Malheureusement, il ne lui fut pas permis de sortir de Gaza, si bien que nous dûmes l’écarter de la liste des conférenciers, même si nous maintînmes son nom et son profil dans le livret de notre programme et que nous gardâmes le livre Light in Gaza (Lumière à Gaza) [auquel Refaat avait contribué] comme l’un des livres que nous allions présenter.

J’étais en contact avec lui durant les semaines où Israël s’est mis à bombarder Gaza en octobre. Notre dernière communication avait eu lieu deux jours avant qu’il ne soit tué.

Il m’avait envoyé une vidéo de lui-même alors qu’il marchait dans les décombres de sa maison bombardée, pour sortir quelques-uns de ses livres des débris. Dans ses derniers jours, il m’avait dit qu’il était bénévole au service de la municipalité locale et qu’il essayait de trouver de la nourriture afin de nourrir les très rares animaux qui n’étaient pas encore morts de faim au zoo de Gaza.

Il y avait un lion tout seul dans une cage qui s’accrochait avec peine à la vie. Il était ennuyé que l’animal vienne à mourir s’il ne parvenait pas à lui trouver de la nourriture.

Refaat lui-même et sa famille eurent à peine de quoi se nourrir ce jour-là.

Susan Abulhawa est directrice exécutive du Festival de littérature La Palestine écrit.

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Lora Lucero

Refaat avait l’âge de mon fils. Quand je rencontrai sa mère chez eux à Shujayia [un quartier de Gaza] en 2012, notre connexion maternelle fut tacite mais bien comprise.

Quelques jours avant qu’Israël ne le tue, Refaat m’avait dit : « Ma mère vous envoie ses meilleurs vœux. »

Bien des gens se rappelleront et honoreront Refaat en tant que conteur émérite de Gaza. Je suis d’accord, sans nul doute, mais je crois que sa passion consistant à partager la Palestine avec le monde est venue du respect, de l’honneur et de l’amour qu’il éprouvait pour sa mère et sa famille.

J’ai le cœur brisé pour elle, pour sa femme et pour ses enfants. Mais mon cœur se réjouit pour Refaat dont les mots et la sagesse nous accompagneront à jamais.

Lora Lucero est une grand-mère, une avocate retraitée et une écrivaine.

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Julie Webb-Pullman

J’ai rencontré Refaat Alareer la première fois au Centre des Études politiques et développementales (CEPD) de Gaza en 2011.

Il était déjà une figure de proue du monde anglophone de Gaza, non seulement en aidant les jeunes Palestiniens à améliorer leur langue et leur savoir-faire médiatique, mais aussi en les confrontant à de très divers mouvements et idées politiques, sociaux et intellectuels. C’était une chose incroyablement importante pour les jeunes, qui n’avaient que très peu de chance de contacts personnels avec le monde extérieur en raison du blocus.

Les séminaires et ateliers qu’il organisait débordaient toujours de monde, surtout de jeunes enthousiastes, et d’idées.

Les plus importantes de ces idées concernant la langue ; et le travail que lui et d’autres du CEPD effectuaient en conscientisant les jeunes Palestiniens sur la façon dont leur réalité était faussement et trompeusement mise sur pied par le langage et le cadrage des questions concernant la Palestine et plus particulièrement Gaza, ne peut être sous-estimé. Les douze années qui ont suivi ont assisté à un épanouissement exponentiel de jeunes Gazaouis qui parlaient explicitement de leur cause, de leurs préoccupations ainsi que d’eux-mêmes.

Le projet de We Are Not Numbers fut probablement la transformation médiatique révolutionnaire la plus influente des 50 dernières années pour la cause palestinienne, pour laquelle Refaat et la cofondatrice américaine Pam Bailey entreront dans l’histoire. J’ai été honorée de présenter des poèmes sur Gaza, rédigés par ma sœur Mercedes, aux étudiants en anglais de Refaat à l’Université islamique de Gaza et elle a bien accueilli l’opportunité qu’avaient les Gazaouis de les entendre.

Mercedes est décédée en juillet au moment où elle travaillait à terminer un livre de poésie sur la Palestine. J’aime les imaginer, elle et Refaat à Jannah en train de discuter de métrique et de syntaxe, de l’endroit où les poèmes devraient aller et d’envoyer leur amour de la langue et de la vie descendre avec la pluie quand elle tombe, ou monter dans les rayons du soleil quand il se lève et se couche, et leur rire dans l’éclat des étoiles du ciel nocturne.

Le message de Refaat est toujours là dans la sensation d’une goutte d’eau sur la peau, la chaleur du soleil, la lumière du ciel nocturne. Comme Refaat, ils ne mourront jamais tant qu’il restera un Palestinien pour sentir, voir et imaginer.

Julie Webb-Pullman est une Néo-Zélandaise qui a travaillé comme journaliste à Gaza.

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Yousef M. Aljamal

Refaat Alareer a été notre professeur et notre mentor. Il nous a inculqué l’amour de la narration et il voulait que tout le monde à Gaza raconte son histoire.

Il nous encourageait toujours à écrire et à faire entendre notre voix et notre histoire, parce que, pour lui, la narration était un acte destiné à garder la mémoire vivante au moment où l’on assiste à des tentatives en vue de l’effacer. Il était universel dans sa salle de classe, nous enseignant la littérature mondiale et insistant sans cesse pour que nous découvrions l’humanité chez les autres.

Yousef M. Aljamal est un universitaire non résident au Centre Hashim Sani d’Études palestiniennes, en Malaisie. Il a écrit et traduit un certain nombre d’ouvrages.

 

Refaat Alareer lors d’un voyage en Malaisie

Refaat Alareer lors d’un voyage en Malaisie. (Photo : Yousef M. Aljamal)

 

Akram Habeeb

Je connaissais le Dr Refaat Alareer depuis près de 27 ans.

Il a été étudiant dans plusieurs de mes classes de littérature. Refaat, l’étudiant, était le meilleur élément de sa classe.

Mes cours l’inspiraient, surtout celui de poésie anglaise. C’était un lecteur avide, un merveilleux étudiant avec de nombreuses touches de créativité.

Une fois diplômé, il a reçu la charge de professeur assistant dans notre département. À l’époque, j’étais aux États-Unis afin de décrocher mon doctorat.

En 2003, quand je suis revenu des États-Unis, il a été parmi les premiers à venir me féliciter.

Je me souviens encore de la boîte de douceurs qu’il avait apportée. J’ai continué d’être une source d’inspiration pour le Dr Refaat.

Quand il est allé à Londres pour sa maîtrise, en 2008, il m’a envoyé un courriel intitulé « Merci un million de fois », dans lequel il reconnaissait mon style d’enseignement et la façon dont ce style l’avait fait se sentir à l’aise au moment d’attaquer son diplôme de maîtrise.

Refaat s’est rendu en Malaisie pour faire son doctorat. Malheureusement, lorsqu’il fut sur le point d’obtenir son diplôme de docteur, il reçut la triste nouvelle de la mort de son frère, lors de la guerre de 2014 contre Gaza.

Quand Refaat revint à Gaza, il trouva sa petite famille déplacée du fait que la maison familiale avait été bombardée par l’armée israélienne. C’est avec un esprit de résilience que le Dr Refaat rejoignit notre département d’anglais.

Le Dr Akram Habeeb est professeur associé de langue et de littérature anglaises à l’Université islamique de Gaza.

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Hassan Shiqaqi

J’avais rencontré Refaat Alareer en 1998, lorsque nous étions tous deux membres d’un club anglais au Conseil britannique. À l’époque, le club comptait 20 étudiants très brillants en provenance des trois universités de Gaza.

Nous accueillions des poètes et romanciers britanniques et nous nous réunissions chaque vendredi : nous discutions de divers sujets afin de nous tenir à jour quant aux toutes dernières méthodes pédagogiques.

Refaat était une personnalité très en vue, dans ce club. Nous travaillions également autour d’un programme de bourses, dans le cadre duquel nous enseignions à des étudiants de premier ordre de la bande de Gaza.

Refaat, bien connu pour son grand sens de l’humour et du sarcasme, taquinait tout le monde, mais jamais moi. Nous partagions nombre d’expériences amusantes, dont un repas de fruits de mer que j’avais cuisiné pour lui.

Malgré ses demandes persistantes d’invitation, je ne cessais de reporter la chose du fait que j’étais très occupé. Quand il put enfin profiter du repas, il en fit l’éloge au sein de notre groupe WhatsApp, déclarant que c’était le meilleur repas de fruits de mer qu’il eût jamais fait.

Refaat était toujours distingué, à jour et soucieux de s’amender. Son assassinat est comparable à la perte du fameux romancier palestinien Ghassan Kanafani et du caricaturiste Naji al-Ali.

Je n’ai pas été surpris d’observer les réactions après son assassinat. C’était un courageux combattant de la liberté qui se battait avec sa plume pour mettre en lumière la souffrance quotidienne, le vol de terre, l’état de siège et les innombrables autres défis auxquels sont confrontés les Palestiniens.

Il me manque profondément. Repose en paix, cher collègue et ami.

Hassan Shiqaqi enseigne l’anglais. Il a travaillé comme interprète pour The Guardian et d’autres publications.

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Fila Mangus

Refaat Alareer était un homme incroyablement fort dans ses principes et doté d’une force remarquable sur laquelle on pouvait compter. Un magicien du verbe, qui donnait vie aux réalités d’une nation déchirée par la destruction dans un monde indifférent.

C’était un homme qui vivait, respirait, il était la force et l’essence mêmes de ce qu’est Gaza. Il a choisi à maintes reprises de dédier son brio à la liberté et la paix de la Palestine, mettant en évidence les voix d’autrui tout au long de son périple.

Ce fut vraiment un honneur que d’avoir partagé des moments avec un homme incroyable qui continue de nous enseigner le sens de la vie, même dans la mort. En son souvenir et en son nom, nous continuerons de lutter pour une Palestine libre.

Fila Mangus est une activiste malaisienne des droits humains.

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Azra Banu

J’ai rencontré Refaat pour la première fois il y a plus de dix ans. Son attitude réservée contredisait un esprit brillant, une langue aiguë et une plume puissante.

J’étais souvent en admiration au vu de ses prouesses dans la langue anglaise, j’enviais la façon dont il pouvait se glisser dans une conversation avec aisance et finesse ou la mettre en pièces grâce à son esprit caustique.

L’écouter était un délice, mais visionner ses interviews, écouter sa douleur et son angoisse durant l’attaque qui allait déboucher sur son assassinat, voilà quelque chose qui va me hanter longtemps. Peut-être cela ne s’en ira-t-il jamais.

Il est dit qu’on ne comprend vraiment la pleine valeur de quelqu’un que lorsqu’il s’en est allé. Le flux constant d’hommages, l’omniprésence de « If I Must Die » [Si je dois mourir, un poème de Refaat], le deuil de sa mort et la célébration de sa vie sont tous des témoignages de l’héritage qu’il laisse derrière lui, non seulement dans la sphère palestinienne, mais bien au-delà également.

L’avoir accueilli dans notre foyer bien-aimé restera un souvenir profondément chéri pour ma famille et moi-même. Refaat Alareer sera toujours un véritable joyau palestinien bleu, dont on apprendra, dont on parlera et que l’on chérira de génération en génération.

Azra Banu est enseignante et active dans les organisations BDS Malaysia et Viva Palestina Malaysia.

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Mike Merryman-Lotze

J’ai rencontré Refaat la première fois au début 2014. J’organisais une tournée de conférences pour lui et plusieurs contributeurs à Gaza Writes Back (Gaza riposte par écrit), un livre qu’il avait édité à partir de textes de ses étudiants. J’avais été frappé par la capacité de Refaat à raconter l’histoire de la Palestine, écartant la douleur tout en recourant à l’humour pour se connecter à un public qui ne savait que peu de chose, finalement, des réalités quotidiennes de Gaza.

Sa foi dans les récits en tant qu’outils de transformation et son engagement envers ses étudiants sautaient immédiatement aux yeux. Nous étions restés en contact après la tournée et avions renoué ces relations à Gaza en décembre 2014.

Refaat n’était pas censé être à Gaza, à cette époque. Il était revenu chez lui (il faisait un doctorat en lettres en Malaisie) pour soutenir sa famille au cours de la guerre de Gaza en 2014 et il était resté bloqué là pour une longue période en raison des restrictions de mouvement imposées par Israël.

Quand nous nous sommes rencontrés cette seconde fois, Refaat était manifestement sous le choc des attaques et de leurs impacts. Israël avait tué plus de 30 membres de sa famille élargie et, quand nous nous sommes revus, il était toujours en train d’essayer de savoir comment naviguer dans toute cette procédure byzantine destinée à obtenir de l’aide pour reconstruire les maisons de la famille qui avaient été détruites.

Pourtant, malgré tout ce qu’il avait vécu, Refaat n’avait jamais perdu l’espoir dans le pouvoir du langage en tant qu’outil du changement. Il continua de former d’autres personnes, construisant ainsi une génération d’avocats et de dirigeants qui poursuivront son héritage dans les décennies à venir.

Nous avions espéré reprendre le contact au cours du Palestine Writes Festival de cette année, où il était prévu que Refaat présente le livre sur lequel nous travaillions ensemble, Light in Gaza (Lumière à Gaza), mais Refaat fut empêché de quitter Gaza. Une fois qu’il fut clair qu’il ne viendrait pas aux EU, Refaat m’envoya une photo de la tournée de 2014 et une invitation à prendre le café la prochaine fois que je viendrais à Gaza.

Nous ne prendrons jamais ce café. Mais son souvenir restera avec moi à jamais et son engagement envers la justice restera une inspiration.

Mike Merryman-Lotze dirige le travail politique de mise en place de la paix mondiale de l’American Friends Services Committee.

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Malak Zakoutova

C’était un après-midi typique, jusqu’au moment où j’avais reçu un appel téléphonique du Dr Refaat pour me dire qu’il m’avait nommée à un poste de coordinatrice de projet [dans un programme universitaire] dans lequel il travaillait comme mentor.

J’avais refusé parce que je ne croyais pas pourvoir en sortir. Mais il m’avait convaincue du contraire, pour la simple raison qu’il croyait que je pourrais le faire et que je le ferais.

J’avais obtenu l’emploi et, jour après jour, j’allais voir le Dr Refaat. Un jour, il avait fait irruption dans mon bureau et je vis qu’il était particulièrement content.

Ses yeux brillaient quand il me parla d’une de ses stagiaires qui avait publié son premier article. La stagiaire avait des compétences rédactionnelles très faibles quand elle avait rejoint le projet GoDigital.

Ses progrès avaient fait « pleurer » le Dr Refaat, me dit-il à voix basse. Et d’ajouter en guise de plaisanterie :

« Je n’ai jamais pleuré que deux fois dans ma vie – quand ma femme a donné naissance à mon premier-né et quand ‘la stagiaire’ a publié son premier article. »

Malak Zakoutova coordonne le projet GoDigital au Business and Technology Incubator (Incubateur d’entreprises trechnologiques), à l’Université islamique de Gaza.

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Basman Derawi

J’ai fait la connaissance du Dr Refaat en 2015, quand j’ai rallié le projet We Are Not Numbers. Il donnait cours lors d’une session afin de nous aider à raconter des histoires.

Il était si passionné pour raconter des histoires et c’est lui qui m’a introduit dans le monde des livres. Je me souviens toujours des étincelles dans ses yeux quand il parlait de Mornings in Jenin (Les matins de Jénine), de Sharon and My Mother-in-law [Sharon et ma belle-mère – un livre de Suad Amiry], de Harry Potter, etc.

Nous nous sommes rencontrés à de multiples reprises. Je me rappelle qu’à une de ces rencontres, il m’avait souri et adressé des compliments pour ma poésie. Il était généreux.

Il est la raison pour laquelle je suis écrivain aujourd’hui.

Basman Derawi est physiothérapeute et écrivain.

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Asem al-Nabih

Je ne sais pas pourquoi j’ai pris cette photo. Il m’avait rendu visite ce jour-là sur mon lieu de travail, au comité d’urgence de la municipalité de Gaza.

Refaat Alareer (Photo : Asem al-Nabih)

Refaat Alareer (Photo : Asem al-Nabih)

Ici, il est assis sur mon matelas, où je passe mes soirées avec mes collègues au travail. Il parlait avec quelqu’un au téléphone et il semblait s’en réjouir.

Quand l’appel fut terminé, il me dit :

«C’était une de mes étudiantes. Elle a survécu miraculeusement à la mort, et je m’en faisais à son sujet depuis des semaines. »

Je le taquinai selon ma manière habituelle :

« Finalement, il y a quelqu’un d’autre qui t’aime, en ce bas monde, à part moi. »

Je me trompais. Il semble qu’ils sont des dizaines de milliers à t’aimer, Refaat.

Asem al-Nabih était un ami proche de Refaat et l’une des dernières personnes à l’avoir vu en vie.

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Filesteen Alareer

Chaque fois que je rencontrais quelqu’un qui apprenait mon nom de famille, la personne me demandait des nouvelles de Refaat. Et j’en éprouvais une grande fierté.

Malgré son emploi du temps chargé, il m’aidait avec des traductions pour les devoirs de ma fille.

Refaat était un homme paisible et il aimait la vie. Il ne faisait rien d’autre que de dénoncer avec sa plume la brutalité de l’occupation israélienne.

Il écrivait la vérité.

L’occupation l’a tué mais elle ne tuera pas son message.

Filesteen Alareer est la cousine de Refaat.

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Yasser Ashour

Refaat avait deux facettes, pour les étudiants.

À l’université même, Refaat était sérieux et résolu. En dehors, c’était une autre personne, un ami, un frère et un père pour tous.

Il posait toujours des questions sur le bien-être de tous.

Refaat était également un ami de ma famille. Lors de sa visite à Istanbul, je lui avais parlé de ma famille.

J’avais été surpris d’apprendre qu’il avait rendu visite à mes proches une semaine après son retour à Gaza. Il m’avait envoyé une photo avec ma petite sœur Shams et m’avait dit que la nourriture que ma mère préparait était délicieuse, et que ce serait une raison majeure pour des visites répétées chez les miens.

Après que notre maison avait été bombardée en mai 2021, il avait rendu visite à mon père, avait pris place debout à côté de lui et lui avait proposé son aide. Quand j’ai été engagé, il a été l’un des premiers à venir assister à la cérémonie d’engagement.

Même dans la guerre actuelle, quand les bombardements se sont intensifiés, il était le premier à demander si ma famille avait besoin d’aide, bien qu’il ait vécu sous le même bombardement.

Notre Refaat bien-aimé est une perte irremplaçable.

Yasser Ashour est un Gazaoui qui vit à Istanbul. Il gère le site internet gazastory.com.

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Publié le 6 janvier 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine
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Lisez également :

A la mémoire du Dr Refaat Alareer
S’il nous faut vivre
Refaat Alareer a bel et bien été assassiné par Israël
“Que vaut l’existence ?” Ou le martyr de Refaat Alareer

 

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