La libération des prisonniers palestiniens nécessité une nouvelle voie révolutionnaire

Khaled Barakat : La tâche de libérer les prisonniers reste la tâche majeure, fondamentale, et c’est une condition pour construire une alternative, une nouvelle voie révolutionnaire palestinienne.

Khaled Barakat

À l’occasion de la Journée des prisonnier·e·s palestinien·ne·s, le 17 avril 2021, le site Samidoun a réalisé une interview  en arabe de l’écrivain palestinien Khaled Barakat

Comment évaluez-vous l’état actuel de la solidarité internationale avec le mouvement des prisonniers palestiniens ? Quelles sont les tâches et priorités immédiates pour la diaspora palestinienne et la communauté en exil concernant la cause des prisonniers palestiniens dans les prisons de l’occupation ?

Khaled Barakat : Le mouvement de solidarité internationale avec la lutte des prisonniers palestiniens n’est pas séparé ou isolé des tâches et de la réalité de la mobilisation populaire palestinienne et arabe avec le peuple palestinien en général et ses droits nationaux légitimes. Cependant, une relation directe avec la cause des prisonniers requiert spécifiquement une prise de position claire en faveur de la résistance palestinienne et de sa légitimité. Cela signifie également que l’accent doit être mis sur le soutien à la lutte et aux revendications de ce contingent révolutionnaire palestinien, qui est intensifié et représenté par le mouvement des prisonniers luttant au sein des prisons de l’occupation, car il défend la cause et les droits du peuple palestinien luttant pour la libération et le retour, et, d’autre part, comme un noyau solide de résistance et la première ligne de défense du peuple palestinien. Le mouvement des prisonniers incarne le concept de liberté et est au centre de la confrontation quotidienne contre l’occupation.

Le niveau et l’état du consensus national palestinien et le niveau de la mobilisation populaire arabe dans le soutien au mouvement des prisonniers affectent nécessairement la réalité du mouvement de solidarité internationale avec la lutte des prisonniers palestiniens dans les prisons de l’ennemi. La responsabilité première est une responsabilité palestinienne et arabe.

Il y a aussi un état d’échec catastrophique constaté quotidiennement par le peuple palestinien au niveau officiel de l’Autorité Palestinienne, le rôle et l’inaction de l’Autorité et même la complicité avec l’occupation, les ambassades palestiniennes ignorant largement la souffrance et le sacrifice des prisonniers, et il y a aussi un grave échec de la part des factions palestiniennes. En outre, la présence d’un grand nombre d’institutions palestiniennes de défense des droits de l’homme, par exemple à l’intérieur de la Palestine occupée en particulier, ne signifie pas nécessairement qu’elles jouent un rôle efficace au niveau international.

Néanmoins, un rôle important est joué par un certain nombre d’organisations qui considèrent les prisonniers comme une priorité et une tâche fondamentale de leur agenda, notamment le réseau de solidarité avec les prisonniers palestiniens Samidoun et le Collectif Palestine Vaincra et d’autres groupes en France, ainsi que les forces de gauche et de solidarité en Irlande, en Belgique, en Italie, en Espagne, au Danemark, au Canada, aux États-Unis, en Afrique du Sud, au Brésil et ailleurs. Ce rôle s’est considérablement accru ces dernières années, ce qui a causé des désagréments importants à l’État d’occupation, de sorte qu’il a lancé des contre-campagnes et mis en place des programmes et des lois pour réprimer ce mouvement, au point que certains ont été inscrits sur la liste dite « terroriste », comme c’est votre cas (Samidoun).

Je pense que les tâches directes sur lesquelles doit se concentrer la diaspora palestinienne à l’égard des prisonniers sont les suivantes : élargir la participation populaire palestinienne et arabe au soutien de la lutte des prisonniers, s’engager dans un travail organisé sur une base cohérente plutôt que saisonnière ou symbolique, et pousser à un travail révolutionnaire qui construit de véritables ponts de lutte entre notre peuple hors de Palestine et notre peuple palestinien en général à l’intérieur de la Palestine occupée, par le biais de campagnes ciblées qui exposent les crimes de l’ennemi et récoltent des résultats positifs au profit de notre peuple et de ses prisonniers.

La tâche de libérer les prisonniers des prisons reste la tâche majeure, fondamentale, et c’est une condition pour construire une alternative, une nouvelle voie révolutionnaire palestinienne. Cela signifie construire une force de dissuasion palestinienne qui freine l’occupation et l’empêche de violer les droits et la dignité du peuple palestinien et des prisonniers palestiniens en toute impunité.

La construction d’une force populaire palestinienne organisée qui se réfère aux priorités du peuple palestinien, élève le niveau de la solidarité internationale et met l’accent sur les questions essentielles (le droit de retour, la libération des prisonniers et le soutien à la résistance) reste une question brûlante et urgente qui ne doit pas être reportée ou marginalisée.

Le rôle des Palestiniens en exil dans la réalisation d’une telle alternative révolutionnaire et dans la construction de son leadership, en particulier dans les camps de réfugiés, est une question centrale, tout comme son rôle dans la construction d’un mouvement de boycott de l’entité sioniste et de lutte contre la normalisation, et dans la liaison de ces objectifs de lutte à la situation en Palestine occupée, au cœur de laquelle se trouve la lutte des prisonniers et des détenus dans les prisons de l’occupation.

Nous ne devons pas nous contenter de critiquer l’Autorité Palestinienne « indépendante » qui a laissé tomber notre peuple palestinien. Nous devons le faire tout en construisant une alternative révolutionnaire qui réalise les objectifs et les aspirations de notre peuple. C’est une mission et une responsabilité individuelle et collective.

Nous constatons, par exemple, le rôle croissant des organisations et associations de la diaspora, notamment en Europe et en Amérique du Nord, envers le mouvement des prisonniers palestiniens et la mobilisation populaire en général, peut-être plus que par le passé. Êtes-vous d’accord avec cela ?

Barakat : Oui, cela est en partie dû à la présence d’un plus grand espace de « liberté », par lequel nous entendons spécifiquement la liberté de mouvement, d’expression et d’organisation dans ces régions. Malgré la répression de l’État, ce contexte reste en dehors de l’appareil d’Oslo et de l’oppression de l’Autorité Palestinienne en tant que mandataire de l’occupation et de l’hégémonie des États arabes officiels qui imposent des conditions à notre peuple palestinien et l’assiègent. En outre, l’occupation se sent quelque peu impuissante face à ce rôle des Palestiniens en exil et en diaspora, car elle ne peut pas exercer librement l’oppression qu’elle exerce contre notre peuple en Palestine occupée. Cette marge de liberté, malgré ses limites, reste importante et ne doit pas être ignorée.

En outre, des changements majeurs se sont produits au niveau populaire dans les communautés palestiniennes et arabes ces dernières années, notamment en ce qui concerne l’augmentation du nombre de Palestiniens et d’Arabes en Europe en raison des déplacements, de la guerre, de l’impérialisme et du racisme. Ceci affecte inévitablement la montée en puissance et la centralisation du rôle de la diaspora palestinienne et affectera la croissance des mouvements et des forces soutenant les luttes de nos peuples au niveau international.

En particulier, nous constatons la présence d’une avant-garde palestinienne parmi les dizaines de milliers de jeunes Palestiniens des camps de réfugiés de Syrie, du Liban, de la bande de Gaza, de Jordanie et d’ailleurs, qui dirigent et organisent les manifestations dans ces capitales et villes aujourd’hui, notamment celles appelées par le réseau Samidoun. Ces jeunes, comme l’a dit Ghassan Kanafani, « n’apprendront pas à se calmer ».

Sur l’importance de cette activité en général, il est clair que la pierre angulaire reste la construction des fondations de l’action et du véritable changement révolutionnaire dans les camps de réfugiés et parmi les classes populaires des pays et des zones adjacentes à la Palestine occupée. Cette équation, telle que je la vois, n’a pas besoin de beaucoup de rhétorique ou d’explication. Plus notre peuple palestinien en diaspora assume son rôle nécessaire, retrouve sa force et assume ses responsabilités envers lui-même et envers la Palestine et redonne de la considération à l’action des fedayin, plus la libération de la Palestine devient rapide, et plus la date du retour approche. Ce sont les objectifs pour lesquels les gens résistent à l’occupation et entrent dans ses prisons.


Publié le 18 avril 2021 sur Samidoun
Traduction : Collectif Palestine Vaincra

Lisez également cet article de Khalid Barakat : Soutenir la lutte palestinienne sous toutes ses formes

Print Friendly, PDF & Email

Vous aimerez aussi...