Ben & Jerry’s répudie la crème glacée israélienne vendue sous son nom

Ben & Jerry’s a répudié la crème glacée vendue sous son nom en Israël et en Cisjordanie occupée par une société israélienne.

Installé dans le Vermont, Ben & Jerry’s affirme que la crème glacée commercialisée sous son nom et son logo en Israël et en Cisjordanie occupée n’a rien à voir avec lui. (Photo : Debbie Hill / UPI)

Installé dans le Vermont, Ben & Jerry’s affirme que la crème glacée commercialisée sous son nom et son logo en Israël et en Cisjordanie occupée n’a rien à voir avec lui. (Photo : Debbie Hill / UPI)

 

Ali Abunimah, 16 novembre 2022

La vente des produits glacés dans les colonies israéliennes bâties sur des terres palestiniennes en violation des lois internationales se retrouve au cœur d’une querelle juridique entre Ben & Jerry’s et son propriétaire Unilever.

Mardi, le Comité indépendant de Ben & Jerry’s a déclaré que

« sans son consentement, Unilever avait vendu des droits de marque aux versions en langues hébraïque et arabe de son nom à Blue & White Ice Cream Ltd ».

« Tous les produits vendus par Blue & White Ice Cream Ltd sont les leurs propres et ne devraient pas être confondus avec des produits fabriqués et distribués par Ben & Jerry’s Homemade Inc. »,

a ajouté le comité, en faisant remarquer que la société installée au Vermont

« n’est pas propriétaire de Blue & White Ice Cream Ltd, pas plus qu’elle n’a avec elle de liens d’affiliation ou des intérêts économiques ».

Ben & Jerry’s a répété que

« la vente de produits portant le logo Ben & Jerry’s en territoire palestinien occupé était en contradiction avec nos valeurs. De telles ventes vont à l’encontre des lois internationales, des droits humains fondamentaux et de la mission sociale de Ben & Jerry’s. »

Blue & White Ice Cream Ltd est une société appartenant à Avi Zinger, l’ancien concessionnaire israélien à qui Unilever prétend avoir transféré les marques commerciales et la propriété intellectuelle de Ben & Jerry ‘s en Israël.


Le procès avance

L’annonce de Ben & Jerry’s ce mardi tombe au moment où il s’avère que la querelle juridique autour de question entre le fabricant de crème glacée du Vermont et sa société parente s’anime de plus en plus.

En juillet 2021, Ben & Jerry’s a décidé qu’il allait mettre un terme au long accord de licence qui permettait à ses produits d’être manufacturés et vendus en Israël et en Cisjordanie occupée, suite à des années de campagnes par des activistes des droits palestiniens.

Un an plus tard, toutefois, Unilever annonçait qu’il avait vendu la marque et le logo de Ben & Jerry’s en Israël au concessionnaire israélien.

Conformément à ce marché, la crème glacée allait continuer d’être commercialisée en Israël et en Cisjordanie en utilisant le logo de Ben & Jerry en hébreu et en arabe.

Unilever admettait qu’il avait entamé cette démarche sous les menaces et les pressions d’Israël et de son lobby.


Mais Ben & Jerry’s a contesté le droit d’Unilever de sceller le marché.

En juillet, il a intenté un procès contre Unilever au tribunal fédéral de New York, prétendant que le transfert de la propriété des marques commerciales et de la propriété intellectuelle à la société israélienne violait l’accord d’acquisition que Ben & Jerry’s avait signé quand Unilever l’avait acheté en 2000.

Conformément à cet arrangement, Ben & Jerry’s avait gardé un comité indépendant

« habilité à protéger et défendre l’équité et l’intégrité de la marque Ben & Jerry’s ».

Le Comité déclare qu’il n’a jamais été consulté par Unilever sur la vente de ses droits à la société israélienne et que l’action sape le soutien bien connu de Ben & Jerry’s dans les questions sociales progressistes, l’une des principales caractéristiques de la marque.

En été, des efforts en vue de régler le litige via la médiation ont échoué, du fait, paraît-il, que Ben & Jerry’s « n’a pas voulu céder » sur sa mission sociale et sur sa position concernant les droits humains palestiniens.


Des menaces sécuritaires

Fin septembre, Ben & Jerry’s a introduit contre Unilever une plainte complétée de plusieurs allégations supplémentaires, dont la méconduite d’Unilever à l’égard du conseil de direction, comme le refus de payer leurs compensations aux directeurs.

Ce fut

« particulièrement grave étant donné les menaces sécuritaires que les membres du conseil de direction ont dû affronter, laissant des membres individuels de ce même conseil dans l’obligation de payer les mesures destinées à assurer leur propre sécurité – y compris la relocalisation – sans recevoir la moindre compensation »,

peut-on lire dans la plainte.

Le procès ne spécifie pas la nature ses menaces sécuritaires, mais il est plus qu’inquiétant que les menaces auxquelles les membres du conseil ont été confrontés après avoir adopté une position de soutien aux droits palestiniens étaient si sévères qu’ils ont effectivement été forcés de se cacher.

Une autre allégation importante dit qu’Unilever a transféré en secret les marques commerciales de Ben & Jerry’s à une entité propriété d’Unilever sans informer ou consulter le Comité indépendant quelques mois seulement à peine après la fusion de 2000, violant ainsi de façon flagrante l’accord d’acquisition.

Ben & Jerry’s dit dans la plainte modifiée que ce transfert secret n’a été révélé que dans des documents du tribunal rentrés par Unilever cet été en réponse au procès.

Ben & Jerry’s prétend que le transfert subreptice était une « tentative de dernier recours autour de ses droits et protections ».


Ben & Jerry’s ont senti la pression

Le procès modifié révèle aussi comment une pression publique et militante efficace était présente, obligeant Ben & Jerry’s d’aborder sa complicité dans les violations par Israël des droits palestiniens.

Il fait remarquer que la société « a commencé à recevoir des plaintes concernant les implications que cela entraînait pour les droits humains de vendre ses produits en Cisjordanie » dès 2013 déjà. En réponse, le Comité a constitué un Comité spécial et a envoyé dans la région plusieurs missions censées collecter des faits.

En 2019, une délégation de ce genre comprenant le CEO de Ben & Jerry, Matthew McCarthy, d’autres exécutifs et la présidente du conseil de direction Anuradha Mittal a rencontré

« des membres du gouvernement israélien, des organisations des droits humains comme Human Rights Watch, d’anciens militaires israéliens, des fermiers locaux, des représentants palestiniens et des agences de l’ONU »,

indique la plainte.

Dans l’intervalle, « la pression continuait à augmenter ». McCarthy et la société recevaient « des centaines de courriels » exprimant « des inquiétudes à propos des implications pour les droits de l’homme de voir Ben & Jerry’s poursuivre ses ventes en Cisjordanie ».

Mais le procès suppose que McCarthy – qui a été désigné par Unilever comme CEO de Ben & Jerry’s – « n’a pas informé le conseil de direction du nombre de courriels ».

Il y a également eu une énorme contre-offensive dans les médias sociaux. La plainte cite, par exemple, comment, en juin 2020, « Ben & Jerry’s a connu une augmentation de 204 pour 100 des mentions relatives à ses affaires en Cisjordanie et aux droits palestiniens ».

Comme McCarthy et Unilever traînaient à propos de ces appels à l’action, les directeurs et membres du conseil de Ben & Jerry’s ont exprimé leur inquiétude de ce que la question ne pourrait plus être écartée.

« Nous allons devoir nous concentrer sur cette affaire (…) avant qu’elle ne se mue en une énorme campagne contre nous »,

a écrit la présidente du conseil, Mme Mittal, au CEO McCarthy et à la société parente Unilever, en juin 2020.

Le même mois, Mme Mittal leur écrivait en insistant sur le fait que « le lent suivi » de la question de faire du commerce dans les colonies israéliennes « se mue en une menace pour les affaires, la mission sociale et l’intégrité de la marque » de Ben & Jerry’s.

Un employé de Ben & Jerry’s a écrit :

« Je ne pense pas que je pourrais exagérer à quel point ceci constitue un danger pour notre activisme en Europe. »

Et ce n’était que la partie visible de l’iceberg. Un groupe de 28 directeurs de Ben & Jerry’s a écrit à McCarthy afin d’exprimer leur frustration :

« Nous croyons que nos activités en Israël vont à l’encontre de notre mission sociale et de nos valeurs et qu’elles entravent gravement notre travail d’activisme. »

Les directeurs ont fait remarquer qu’ils voyaient déjà un

« retour de flamme qui affectait et la crédibilité de ce que nous pouvons faire et la capacité de travailler sur des campagnes et projets avec des partenaires progressistes. »

À un moment, le chargé général de la mission sociale du fabricant de crème glacée a insisté :

« Je crois que cela devient extrêmement urgent. »

Mais, selon le procès de Ben & Jerry’s, Unilever et McCarthy n’ont pas vu les choses de la même façon et ils ont continué de procrastiner. Ainsi, le conseil est passé à l’action lui-même, culminant par la décision en juillet 2021 de mettre un terme à l’accord de licence avec la société israélienne.

Ben & Jerry’s fait remarquer que sa décision de mettre fin à ses ventes en Israël a été soutenue par ses fondateurs Ben Cohen et Jerry Greenfield, et que même Unilever a sorti une déclaration confirmant qu’il avait

« toujours reconnu le droit de la marque et de son comité indépendant de prendre des décisions à propos de ses missions sociales ».

Mais, un an plus tard, sous des pressions pro-israéliennes, Unilever a changé de cap. Sa prétendue vente de la marque Ben & Jerry’s au licencié israélien en Israël même a été saluée par l’État juif et son lobby comme un coup à la campagne palestinienne de boycott, désinvestissement et sanctions.

Ce fut toutefois une victoire sans lendemain.

Loin de faire disparaître la question, les actions d’Unilever ont fait en sorte que la réalisation de profit non éthique par le commerce multinational via le système israélien d’occupation, de colonialisme de peuplement et d’apartheid restera à l’avant-plan et au centre des débats tout au long de la durée du procès.

Ben & Jerry’s demande au tribunal d’empêcher Unilever d’encore entreprendre quoi que ce soit pour faciliter les ventes de crème glacée en utilisant ses marques commerciales et sa propriété intellectuelle en Israël et  de restituer à la société la propriété de toutes ses marques commerciales et de payer les dommages et intérêts et les frais juridiques.

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Ali Abunimah, cofondateur et directeur exécutif de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.

Il a aussi écrit : One Country : A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impasse

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Publié le 16 novembre 2022  sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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Lisez également : Israël en état d’implosion à propos de Ben & Jerry’s

 

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