Le gréviste de la faim et le « lion de Naplouse »

Israël a assassiné Ibrahim Nabulsi et ses camarades et emprisonné Khalil Awawdeh en raison de ce qu’ils sont devenus : des symboles de résistance et d’espoir de libération finale.

Ibrahim Nabulsi et Khalil Awawdeh

Ibrahim Nabulsi et Khalil Awawdeh

 

Mariam Barghouti, 10 août 2022 

Le 9 août 2022, les forces israéliennes ont tué quatre Palestiniens au cours de deux incidents séparés. À Naplouse, trois Palestiniens, dont Ibrahim Nabulsi, un combattant de la résistance palestinienne bien connu des Brigades des Martyrs Al-Aqsa (l’aile armée du Fatah), ont été assassinés lors d’un raid militaire diurne, alors qu’à Hébron, Momin Jaber, 17 ans, était tué dans un affrontement au moment où les forces d’occupation faisaient une incursion dans la ville.

De plus, la mort d’Ibrahim Nabulsi, « le lion de Naplouse », est liée au combat en cours du prisonnier palestinien Khalil Awawdeh, dont la grève de la faim dure depuis cinq longs mois et qui est actuellement détenu à l’infirmerie de la prison de Ramleh.

Tous ces incidents font partie de la même histoire – la campagne israélienne d’éradication de la résistance palestinienne.

La répression de la résistance palestinienne par Israël

La série récente d’homicides israéliens, dont l’assassinat de Nabulsi et le meurtre de l’adolescent de 16 ans, Hussein, s’est produite juste 48 heures après l’obtention par l’Égypte d’un cessez-le-feu afin de mettre un terme à la toute dernière offensive israélienne contre Gaza, baptisée opération Breaking Dawn (aube naissante). (Il s’agit d’un jeu de mots assez macabre : « breaking down » se prononce pour ainsi dire de la même manière, mais signifie « effondrement, désagrégation ». NdT)

Le prétexte sous-tendant cette opération était de cibler de façon préemptive des membres du Djihad islamique palestinien (DIP), que l’armée israélienne soupçonnait de préparer une attaque contre Israël.

Toutefois, la concentration sur le DIP a également dissimulé ce qui se passait des semaines avant l’offensive. L’armée israélienne avait entrepris une série d’opérations en Cisjordanie dans le cadre de l’opération Break the Wave (rompre la vague) lancée au printemps de cette année.

Le 24 juillet, l’armée israélienne envahissait la vieille ville de Naplouse, visant plusieurs maisons et zones résidentielles à l’aide de munitions réelles, d’explosifs et de gaz lacrymogène.

« Nous irons punir les terroristes jusque chez eux », avait déclaré le Premier ministre israélien Yair Lapid lors d’une réunion avec son cabinet ce jour-là.

Le combattant de la résistance palestinienne Ibrahim Nabulsi dans la vieille ville de Naplouse. Nabulsi a été tué le 9 août 2022 en même temps que deux de ses camarades, au cours d’un raid israélien dans la ville. (Photo : Shadi Jarar’ah / APA images)

Le combattant de la résistance palestinienne Ibrahim Nabulsi dans la vieille ville de Naplouse. Nabulsi a été tué le 9 août 2022 en même temps que deux de ses camarades, au cours d’un raid israélien dans la ville. (Photo : Shadi Jarar’ah / APA images)

 

L’offensive a tué deux Palestiniens, Mohammad Azizi, 25 ans, et Abed al-Rahman Sobh, 28 ans, et en a blessé au moins 12 autres, d’après le ministère de la Santé. On rapporte qu’à l’instar de Nabulsi, Azizi et Sobh étaient eux aussi affiliés à la Brigade des Martyrs d’Al-Aqsa.

Toutefois, cette offensive avait été précédée par une autre invasion militaire israélienne, le 8 février, quand trois combattants palestiniens avaient également été assassinés à Naplouse. On rapporte que l’un d’eux était un proche camarade de Nabulsi, Adham Mabrukeh, dont on dit qu’il était lui aussi membre de la Brigade Al-Aqsa.

Selon l’armée israélienne, le jour de l’assassinat de Nabulsi, le colonel Roi Zweig, commandant de la Brigade régionale de Samarie, aurait dit qu’il

« ne permettrait pas qu’il y ait des villes de refuge en Judée et en Samarie. Nous mettrons la main sur chaque terroriste et nous irons partout où notre présence sera requise. »

La déclaration de Zweig sonne juste, pour une autre famille palestinienne, celle de Khalil Awawdeh, à Hébron.

Une tentative en vue de réprimer la résistance palestinienne : le gréviste de la faim Awawdeh

Un aspect incontournable de l’accord de cessez-le-feu du Djihad islamique palestinien consistait en l’accomplissement de trois exigences préalables : la libération de l’important dirigeant du DIP, Bassam al-Saadi (arrêté le 1er août à Jénine par l’armée israélienne), la suspension du ciblage par Israël des membres ou affiliés du DIP en Cisjordanie, et la libération immédiate du gréviste de la faim Khalil Awawdeh, 41 ans, emprisonné en détention administrative, sans accusation ni procès.

Le 9 août, il était prévu qu’Awawdeh soit entendu au tribunal, au camp militaire d’Ofer, près de Ramallah. « L’audience a de nouveau été reportée aujourd’hui », a déclaré à Mondoweiss sa femme de 32 ans, Dalal Awawdeh.

Awawdeh a été arrêté quatre fois, avant son arrestation chez lui, à Hébron, au moment où il faisait ses adieux à ses quatre filles, le 27 décembre 2021. Son aînée, Tuleen, n’avait que 9 ans quand elle avait assisté à l’arrestation de son père par les forces armées.

Le 5 janvier, Awawdeh était censé être relâché après avoir été arrêté par les autorités israéliennes sur des charges supposées d’incitation (sur son compte Facebook), mais son dossier avait été transformé en arrestation administrative quelques jours plus tard. Selon le rapport trimestriel de 7amleh pour janvier-mars, neuf personnes ont été emprisonnées par Israël pour incitation.

Awawdeh est désormais en grève de la faim depuis plus de 150 jours (*) afin de protester contre sa détention administrative.

En raison de la détérioration de sa santé, Awawdeh n’a pu comparaître au tribunal le 9 août, puisqu’il reste détenu à la clinique de la prison de Ramleh, à l’intérieur de la ligne Verte. Cette pratique consistant à déplacer des personnes occupées hors d’un territoire occupé est illégale, d’après les lois internationales.

« Ce juge a eu en main un rapport médical mettant en garde contre le fait que Khalil pouvait mourir à tout moment »,

a déclaré Dalal sur un ton désespéré.

« Le juge a quand même adressé une série de questions à Khalil, et il n’a même pas été capable d’y répondre à cause de sa mauvaise santé. »

Manifestation de solidarité avec Khalil Awawdeh face au quartier général de la Croix-Rouge à Gaza. (Photo : Mahmoud Nasser / APA Images)

Manifestation de solidarité avec Khalil Awawdeh face au quartier général de la Croix-Rouge à Gaza. (Photo : Mahmoud Nasser / APA Images)

 

Le recours aux exécutions extrajudiciaires et à l’arrestation administrative afin d’instaurer la crainte

« Cette occupation passe pour hypocrite et elle ne respecte pas ses accords », a déclaré Dalal à Mondoweiss depuis son domicile à Hébron.

« Ils ne voudraient pas nous donner l’impression qu’il n’y a rien à gagner. Même s’ils prévoyaient de libérer Khalil, ils retarderaient probablement sa libération dans le seul but de ne laisser personne – ni nous, ni la résistance – ressentir qu’il y ait eu la moindre réussite dans cette affaire. »

La santé d’Awawdeh continue de se détériorer, de même qui lui continue d’être emprisonné illégalement en détention administrative. En effet, Israël a l’habitude d’opérer en dehors de la loi afin de réaliser les objectives « sécuritaires » qu’il s’est fixés. Un important exemple est l’exécution extrajudiciaire de Nabulsi et de chef du DIP comme Tayseer Jaabari à Gaza. Ce que tous ces cas ont en commun, c’est qu’ils ont été décidés et exécutés en s’appuyant sur des spéculations des autorités et renseignements militaires israéliens.

« Les filles languissent de le revoir », a déclaré Dalal avec tristesse, faisant allusion à ses quatre filles.

« Je ne sais que répondre à leurs questions quand elles me demandent : ‘Maman, pourquoi papa ne pèse-t-il plus que 40 kilos maintenant ? Pourquoi ses ongles ont-ils l’air si fragile ?’ »

Au fur et à mesure que la santé d’Awawdeh continue de se détériorer, Israël semble nier le fait que la libération de Saadi et d’Awawdeh faisait partie en premier lieu de l’accord de cessez-le-feu.

Pourtant l’assassinat ciblé et brutal d’un jeune de 19 ans dont la réalité imposait qu’il devienne un combattant de la résistance met implicitement l’accent sur la reconnaissance de ce que la résistance armée palestinienne ne se limite pas à une seule faction politique, mais qu’elle s’étend plutôt de plus en plus : de Gaza à Jénine, à Naplouse et aux communautés palestiniennes à citoyenneté israélienne, comme on l’a vu dans la ville de Lydd l’an dernier. Alors qu’un sentiment de deuil plane sur les Palestiniens, de nouvelles craintes surgissent de voir l’armée et les colons israéliens enhardis lancer de nouvelles attaques contre les villes et villages palestiniens.

Puisque les capacités de renseignement et de contre-insurrection de l’armée israélienne sont parmi les plus avancées dans le monde sur le plan technologique et qu’elles sont activement soutenues par les EU, la résistance palestinienne est de plus en plus forcée d’opter pour la clandestinité. Awawdeh poursuit son combat en recourant à son estomac vide. Nabulsi était un jeune de 19 ans qui refusait d’accepter l’agression militaire israélienne et c’est ainsi qu’Israël l’a ciblé, lui et ses camarades, et non pour des « raisons sécuritaires », mais pour ce qu’ils sont devenus, des symboles de résistance et d’espoir d’une libération finale.

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Publié le 10 aout 2022 sur Mondoweiss
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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Une note sur les dates de grève de Khalil Awawdeh, publié par Samidoun le 10 aout : Certains sites de médias rapportent qu’il s’agit du 161ème jour de grève de Khalil Awawdeh alors que d’autres le rapportent comme le 151ème jour. En disant 161 jours, nous suivons l’exemple de la famille et des proches d’Awawdeh, qui ne reconnaissent pas et ne peuvent pas confirmer l’interruption de sa grève de la faim lorsqu’on lui a annoncé qu’un accord avait été trouvé pour sa libération le 21 juin. Ces deux dates sont valables et soulignent l’importance de réclamer sa libération. Notamment, sa famille n’a jamais confirmé la suspension ou la fin de sa grève de la faim à ce moment-là. Au contraire, sa détention administrative a été prolongée et il a officiellement signalé la reprise de sa grève à son avocat le 2 juillet.

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